samedi 9 janvier 2010

Boursiers, grandes écoles, quotas


La polémique actuelle qui a lieu en France à propos de l'instauration de quotas de boursiers dans les Grandes Ecoles est assez intéressante pour moi, (si on enlève les torrents de démagogie qui se déversent de part et d'autre), étant donné que je suis passé par les systèmes éducatifs Français et Américain (temple de la discrimination positive).

Quelque mots d'abord sur l'éducation aux Etats-Unis. Avant l'université, l'Ecole est extrêmement fragmentée et décentralisée aux Etats-Unis. Les programmes scolaires sont définis état par état, les écoles privées sont extrêmement chères et réputées dans les milieux sociaux aisés notamment sur la côte Est (malgré la création d'écoles publiques d'élite dans certains états), bref, le niveau est extrêmement hétérogène, entre les élèves qui obtiennent le diplôme de leur lycée (il n'y a pas d'équivalent national du bac) et qui n'ont pas une once de culture générale et ceux qui ont déjà pris de l'avance sur les cours d'université (les fameux advanced placement programs). Mais contrairement à la France avec son collège unique et ses lycées qui se veulent être le ciment de la République, l'Ecole aux Etats-Unis n'a pas, je pense, cette prétention-là. En fait, c'est l'université (le "college") qui occupe ce rôle, et qui tient une place prépondérante dans la construction de ceux qui feront plus tard l'Amérique.

Quelques remarques: je l'ai dit, l'école avant l'université, c'est un peu la foire, très décentralisée, aucun diplôme de référence, bref il est très dur d'organiser un examen ou un concours national de type bac ou même une sorte de concours de grande école à la Française qui serve pour l'admission dans les universités. La notion de concours n'est d'ailleurs pas du tout ancrée dans les mentalités. La solution: on fait passer des tests standardisés, les SAT, à tous les étudiants (principalement des QCMs, imaginez, de quoi faire bondir les enseignants Français), et ceux-ci ne seront qu'un élément parmi d'autres dans un dossier pour une fac. On y ajoutera une lettre de motivation, des lettres de recommandations et les notes obtenues au lycée bien sûr (mais très honnêtement, avec l'inflation des notes, tous les bons étudiants se retrouvent presque avec un score maximum, et il est dur d'évaluer la valeur de chaque lycée). On secoue tout ça bien fort, et voilà qui nous donne une admission (ou non) dans une université (réputée ou pas).

Certains étudiants peuvent légitimement s'estimer lésés par le système d'admission mais en moyenne, vu qu'on postule à de nombreuses facs et que la hiérarchie n'est pas aussi strictement définies que pour les Ecoles françaises (voir mon billet sur la sélectivité des facs US), la plupart des étudiants s'y retrouvent. Et comme la sélection se fait sur dossier et ne suit pas vraiment de critère rigoureux, on peut y ajouter un peu de cette fameuse discrimination positive. Celle-ci concerne les minorités bien sûr (blacks et latinos principalement, on estime que les Asiatiques n'en ont pas vraiment besoin vu le bon niveau des étudiants, malgré les discriminations anti-Japonaises pas si vieilles que ça), mais aussi les élèves issus de "dynasties" (ceux dont les parents ont fréquenté la fac à laquelle ils postulent), et les spportifs de haut niveau (sur ce point, il ne faut pas oublier que le sport est fondamental dans la culture américaine, qu'il n'y a pas d'équivalent de l'INSEP, que les sportifs professionnels américains passent tous ou presque par l'université, et qu'au moins, ceux qui échoueront à faire de leur passion leur métier auront un diplôme universitaire, ce qui n'est forcément le cas en France...)

La discrimination positive est donc noyée dans une sélection qui comporte déjà pas mal de facteurs aléatoires. On pourrait s'inquiéter du niveau des étudiants. Est-ce si grave que ça? Eh bien cela dépend, puisqu'à l'université, durant le premier cycle (les quatre années de bachelor, le diplôme classique), le niveau est assez bas, l'inflation des notes est importante, mais qu'importe, vu que pour de nombreux métiers, l'opinion générale est qu'on n'utilisera pas forcément ce qu'on a appris à l'école. Pour ce qui est des métiers techniques ou scientifiques, là, le niveau est un peu meilleur, mais la sélection est pyramidale (contrairement à la France), et de nombreux étudiants, ceux qui sont motivés, envisagent de faire un doctorat, qui est le véritable diplôme d'excellence scientifique, et pour lequel la sélection est très dure. Ce qui fait qu'à ce niveau-là, le niveau n'est pas moins élevé qu'en France, malgré le mode de sélection différente. Le léger problème, c'est que le laxisme du système éducatif américain au lycée et dans certaines facs fait que seuls les élèves qui ont été dans les bons lycées et ont eu le courage de suivre un cursus plus difficile que leurs camarades à la fac ont une chance de faire un doctorat, scientifique notamment. Et donc dans ces matières, leur nombre est très faible. La plupart des étudiants à ce niveau sont étrangers, d'Asie notamment. Cela pourrait être grave, mais comme beaucoup travaillent ensuite aux Etats-Unis, grâce au pouvoir d'attraction de ce pays, le niveau de la recherche reste très élevé.

On peut aussi ajouter que pour les autres véritables filières d'élite aux Etats-Unis, que sont le droit et la médecine, il y a une autre sélection qui s'effectue après quatre ans d'étude. Bref, dans le système américain, on arrive aussi à obtenir une "élite" par filtrages successifs, ces filtres ne se résumant pas à un concours. C'est plus aléatoire mais cela permet d'incorporer une discrimination positive sans trop faire jaser.


Une petite parenthèse sur le coût de l'éducation, qui est élevé (5000, 10000 voire parfois plus de 30000 dollars l'année) mais il y a de très nombreuses bourses pour les étudiants issus de milieux défavorisé ou même des classes moyennes. Je n'oublie pas non plus le fait que les familles économisent pour les frais d'université souvent dès la naissance d'un enfant. Que les étudiants n'hésitent pas à travailler à mi-temps ou à s'endetter. Qu'en France, l'éducation coûte aussi très cher, mais qu'on n'en a pas conscience car les coûts sont dilués dans les nombreux impôts à payer. Et donc, finalement, malgré le coût de l'université, on arrive à un taux de diplômés du supérieur plus important aux Etats-Unis qu'en France. Bref, c'est loin d'être idéal, mais ce n'est pas tout à fait l'enfer que l'on caricature parfois (cela me rappelle un peu les débats qui ont lieu en France sur le système de santé Américain mais passons...).

En France, le système est évidemment différent. Le collège unique et les lycées sont sensés donner les mêmes chances à tout le monde, et des concours anonymes et impartiaux sélectionnent les meilleurs étudiants. C'est la théorie. Mais on constate qu'il y a une reproduction sociale des élites. D'où l'envie de certains d'imposer des quotas. Mais ce constat n'est qu'une partie de la vérité, il révèle en fait la faillite globale du système éducatif, du collège, du lycée, de l'université. Les élèves n'ont pas les mêmes chances, parce que la baisse du niveau a empêché les meilleurs élèves issus des classes populaires d'acquérir la culture générale ou scientifique nécessaire à la poursuite des études "d'élite", et aussi parce que comme la mixité sociale a régressé, les collèges et lycées des zones favorisées proposent un environnement plus favorable au travail scolaire. C'est un cercle vicieux. Certains évoquent aussi les cours particuliers payés à prix d'or par les parents des milieux aisés, ce n'est pas faux, mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres, à mon sens pas tout à fait central ici.

Comment faire pour qu'il y ait plus d'élèves boursiers en prépa d'abord, dans les Grandes Ecoles ensuite (à ce propos le critère d'un certain pourcentage de boursiers me paraît un peu partiel, mais passons)? Plutôt que les quotas, certains proposent de rétablir des classes de niveau dès le collège, de faire un effort important sur l'orientation (il est capital d'informer tous les étudiants, notamment ceux issus des classes sociales modestes, des possibilités qu'ils ont de poursuivre des études à haut niveau, études, je le rappelle, gratuites ou presque), de créer un système de tutorat entre élèves des grandes Ecoles et lycéens doués des quartiers défavorisés. On peut aussi évoquer les classes prépas de remise à niveau comme au lycée Henri IV. Ce sont des pistes, il n'y a pas de solution miracle sans remettre totalement en question la façon dont on a géré l'Ecole depuis quarante ans.

Si malgré tout, on impose des quotas de boursiers dans les Ecoles, via un concours séparé ou même sur dossier, il ne faut pas se faire d'illusion, cela n'améliorera pas la situation. D'une part parce que ce ne sont pas quelques dizaines ou quelques centaines de diplômés boursiers par an en plus qui vont remodeler le paysage social français et réparer ce fameux ascenseur social. D'autre part parce que malgré tout, je pense que dans les Ecoles d'ingénieurs notamment, il y a des connaissances scientifiques et une méthode de travail qui sont jugés indispensables afin d'être admis, et d'avoir le niveau pour apprendre ce qui est nécessaire pour devenir un ingénieur de qualité. Sur ce point, un léger bémol, je pense que par exemple de nombreux élèves qui n'ont pas eu l'X mais d'autres très bonnes écoles auraient pu sans trop de problèmes avec un peu de boulot suivre les cours à Polytechnique; mais bon, comme le pourcentage de boursiers n'est pas vraiment plus élevés dans ces autres écoles, ça n'aurait pas amélioré le taux de boursiers à l'X...

Enfin, et surtout, un diplôme n'est utile que si on trouve un bon boulot à la sortie de l'école, et il faudrait être naïf pour croire que les employeurs se gêneront pour demander aux diplômés par quelle voie ils ont intégré leur école. Il n'y a qu'à voir les discriminations dont sont victimes certains admis sur titre (qui ont intégré leur école d'ingénieur ou de commerce via l'université, sans passer par une prépa), parfois à tort selon moi, dans certains secteurs sélectifs comme le Conseil ou la Finance, parce que les employeurs estiment que la prépa et le concours qui a suivi ont été des éléments formateurs et ont contributé à renforcer des qualités qu'ils recherchent chez un candidat...

En résumé, si je pense que la discrimination positive et les quotas peuvent avoir leur place dans un système éducatif particulier comme aux Etats-Unis par exemple, les adopter en France reviendrait à abdiquer devant l'échec de notre politique de l'école égalitaire depuis 30 ans et renoncer totalement à notre modèle d'éducation plutôt que de tenter de le réparer. Et à ceux qui pensent que la fin (la promotion d'une plus grande diversité sociale, et même -chut, faut pas le dire trop fort!- ethnique parmi l'élite) justifie les moyens (l'instauration de quotas aux concours, donc), surtout que l'objectif est en soi tout à fait louable, je réponds que les effets pervers de leur mesure, que j'ai évoqués plus haut, les mènera à l'échec.